Grenoble, le 14 septembre 1914

 

Mon cher Antoine,

 

         J'espère que tu te portes bien. Nous avons bien reçu ta lettre du 20 août. Je te rapporte les dernières nouvelles.

 

         Ta soeur Yvonne a mis au monde un beau petit garçon, baptisé Arséne. Elle se porte bien mais l'accouchement l'a fatiguée. Je garde donc Jean, Marcel et Denise le temps qu'elle se rétablisse.

Ta mère a reçu une lettre d'André, il dit qu'il se porte bien et qu'il est dans le même régiment que René Villard, le boulanger de la rue Victor Hugo.

 

         Le magasin marche bien et n'attend que ton retour. Jusqu’à maintenant nous avons été livrés correctement mais le fournisseur m'a dit que ce ne serait bientôt plus le cas si la guerre continue...

        

         Jean et Marcel t'ont fait un dessin que j'inclus dans la lettre. Je t'envoie aussi deux photos. Sur l'une d'entre elle,  tu pourras voir ta mère et la petite Denise, sur l'autre tes soeurs Suzanne et Madeleine et ton frère Lucien.

 

Avec toute mon affection,

 

                                         Ta Valentine

 

 

Chemin des dames, le 7 octobre 1914.

 

Ma chère Valentine,

 

J'ai bien reçu ta lettre, le dessin et les photos du 14 septembre  que je trouve réussis et adorables même si Denise a l'air triste. Suzanne et Madeleine ont l'air d'aller bien et Lucien est très souriant. Donne le Bonjour de ma part à toute la famille. Je te rapporte les dernières nouvelles :

Le 20 septembre, nous avons été bombardés par des escadrons allemands. Des éclats d'obus volent dans tous les sens, mais je m'en suis sorti miraculeusement indemne. On nous distribue de l’alcool  et cela m’aide à surmonter la mort de mes camarades…

         Voilà, je t'ai tout raconté car le reste, tu le connais déjà. Je reviendrais pour  Noël, si tout va bien rassure toi. Je suis content que le magasin marche bien, J ‘espère que le fournisseur continuera à te livrer correctement.

                         Je t'aime.                          

                               Antoine.

 

 

2ème  série de lettres

 

 

 Grenoble, le 20 Novembre 1914

 

Mon cher Antoine,

 

         J’ai reçu ta lettre du 7 Octobre ce matin ; j’ai été si heureuse d’apprendre que tu n’as pas été blessé lors du bombardement. Je crains pour ta vie à chaque instant et plus encore depuis que j’attends notre enfant. Je devrais accoucher au mois de Mars, j’espère que d’ici là, la guerre sera terminée et que tu me seras  revenu.

 

         Ici, le froid s’installe depuis quelques jours la neige s’installe peu à peu. Le petit Arsène a eu des accès de fièvre, le médecin ne sait pas ce qu’il a mais il craint une contagion ; alors pour éviter que Jean, Marcelle et Denise ne soient atteints, ils sont revenus quelques jours chez nous. La petite Denise est très contente de m’aider à servir à la boutique et les garçons travaillent bien à l’école. Jean a eu le premier prix d’écriture, il était très fier.

 

         Ta mère n’a pas reçu de nouvelles de ton frère André depuis Septembre, nous commençons à nous inquiéter. J’ai reçu des nouvelles de ma sœur Angèle qui a accouché d’une petite Odile.  Elle me dit que René, mon frère, est revenu en permission et dit que c’est très dur. Il est dans le même régiment que mon cousin Jules. J’ai écrit à ma sœur Rosalie pour l’inviter à venir quelques jours début décembre avec ses deux enfants Louis et Victorien. J’espère qu’elle acceptera depuis le début de la guerre j’ai besoin de voir ma famille. 

         Comment vis-tu ? As-tu besoin de quelque chose ?

Je te laisse, Denise m’appelle ,

                                         Tu me manques,

                                                                  Ta Valentine

 

 

Chemin des dames, l e 20 décembre 1914.

 

Ma chère Valentine,

J'ai reçu ta lettre du 20 novembre ce matin. En ce qui me concerne j'ai quelques égratignures mais rien de grave. Ce n'est pas le cas pour certains de mes camarades qui sont décédés au cours de la bataille. Nous sommes gelés, nous pataugeons dans la boue entre les débris et les cadavres. Ca peut te paraître abominable mais j'ai pris l'habitude…

         J'espère être là pour Noël et aussi à la naissance de notre enfant mais malheureusement je ne sais comment tout cela va finir.

Malheureusement je ne suis pas le seul dans cette situation :

mon camarade Jean a perdu sa mère le 2 décembre et la femme d'un de mes camarades va bientôt accoucher.

Demain, nous avons un changement de positions... souhaite moi bonne chance. Encourage et embrasse le petit Arsène. J'espère qu'il va mieux, dis-lui de bien se porter et embrasse aussi Jean, Marcelle et Denise. Félicite Jean de ma part pour son premier prix d'écriture. Embrasse tout les membres de la famille.

Je te laisse, tu me manques aussi.

                                                   Ton Antoine.