Le témoignage de Pline le Jeune
"A ce moment,
de la cendre, mais encore peu serrée ; je me retourne : une traînée noire et
épaisse s'avançait sur nous par derrière, semblable à un torrent qui aurait
coulé sur le sol à notre suite...
A peine étions-nous assis et voici la nuit, comme on l'a, non point en
l'absence de la lune et par temps nuageux, mais bien dans une chambre fermée,
toute lumière éteinte. On entendait les gémissements des femmes, les
vagissements des bébés, les cris des hommes ; les uns cherchaient de la voix
leur père et leur mère, les autres leurs enfants, les autres leurs femmes,
tâchaient de les reconnaître à la voix. Certains déploraient leur malheur
à eux, d'autres celui des leurs. Il y en avait qui, par frayeur de la mort,
appelaient la mort. Beaucoup élevaient les mains vers les dieux ; d'autres,
plus nombreux, prétendaient que déjà il n'existait plus de dieux, que cette
nuit serait éternelle et la dernière du monde.
Enfin la traînée
noire dont j'ai parlé s'éclaircit et s'évanouit à la manière d'une fumée ou
d'un brouillard ; puis brilla le vrai jour, même le soleil, mais avec la teinte
jaunâtre qu'il a lors des éclipses. Aux regards encore mal assurés, les objets
s'offraient sous un nouvel aspect, couverts d'une cendre épaisse comme d'une
couche de neige.
Pline le Jeune, Lettres, tome II, Livres IV-VI
Une nuée se formait
(on ne pouvait bien voir de loin de quelle montagne elle sortait, on sut
ensuite que c'était du Vésuve), ayant l'aspect et la forme d'un arbre et
faisant penser surtout à un pin. Car après s'être dressée à la manière d'un
tronc fort allongé, elle déployait comme des rameaux, ayant été d'abord, je
suppose, portée en haut par la colonne d'air au moment où elle avait pris
naissance, puis cette colonne étant retombée, abandonnée à elle-même ou cédant
à son propre poids, elle s'évanouissait en s'élargissant ; par endroit elle
était d'un blanc brillant, ailleurs poussiéreuse et tachetée, par l'effet de la
terre et de la cendre qu'elle avait emportées...
...Déjà les bateaux
recevaient de la cendre, à mesure qu'ils approchaient plus chaude et plus
épaisse, déjà aussi de la pierre ponce et des cailloux noircis, brûlés,
effrités par le feu, déjà il y avait un bas-fond et des rochers écroulés
interdisaient le rivage...
...Pendant ce
temps, le sommet du mont Vésuve brillait sur plusieurs points de larges flammes
et de grandes colonnes de feu dont la rougeur et l'éclat étaient avivés par
l'obscurité de la nuit.
Pline le Jeune, Lettres, tome II, Livres IV-VI
Texte établi et traduit par Anne-Marie Guillemin
Paris, Les Belles Lettres, 1989, 1re éd. 1987